Former n’est pas seulement informer, c’est avant tout transformer les personnes. C’est mettre les représentations initiales en crise et agir sur les identités individuelles. C’est transformer les représentations initiales préscientifiques en représentations scientifiques qui sont les objectifs d’apprentissage.
Former, c’est bousculer les évidences, saisir les causes des phénomènes, analyser les situations, s’entraîner à des gestes nouveaux.
Former vise une certaine émancipation de l’apprenant. C’est faire fructifier un capital de savoirs et de compétences accumulés par l’humanité au fil de son aventure millénaire. La formation s’intéresse à des contenus, à des comportements, à des valeurs, à des manières de penser.
Former engendre un jeu d’acteurs entre le formateur et les stagiaires ou apprenants. Au sein du paradigme constructiviste, les formateurs et les apprenants ne détiennent qu’une partie du savoir. Le formateur en maîtrise une part plus importante que l’apprenant, ce qui légitime sa fonction. On pourrait dire qu’il possède une certaine avance justifiant son statut. Celle-ci lui permet de favoriser la meilleure rencontre possible entre les savoirs et les apprenants.
Dans le même paradigme constructiviste, on peut constater que toute résistance d’un apprenant est une chance à saisir par le formateur qui va l’aider à la dépasser avec force inventivité pédagogique et didactique. L’analyse des représentations ou l’analyse des erreurs effectuée par les apprenants est un moyen de dépasser des résistances, des préjugés, des approximations. De la même manière, les situations problèmes qui conduisent à un conflit sociocognitif peuvent modifier des représentations initiales. Les interactions entre formateurs et apprenants et les interactions entre apprenants font naître des conflits sociocognitifs qui mettent en mouvement les représentations de chacun pour aboutir à de nouveaux équilibres à un niveau supérieur d’apprentissage. Bien sûr, pour que ces interactions soient formatrices, il est nécessaire que chaque acteur de la formation occupe toute sa place, joue son rôle et soit considéré à part entière comme un acteur en train de se livrer à un jeu d’apprentissage. Prendre en compte l’apprenant pour ce qu’il a réellement avec des représentations qu’il convient de considérer, avec son potentiel et ses résistances, ses limites est un préalable si l’on considère que la formation est un jeu d’acteurs qui s’affrontent tout en coopérant.
L’efficacité de la gestion des interactions par le formateur sera optimum si les objectifs cognitifs, méthodologiques et comportementaux sont bien clarifiés en début de formation.
Dans le paradigme constructiviste, le formateur n’est pas omniscient. Il n’est pas l’individu qui détient à lui seul le savoir et la vérité à transmettre. Le formateur joue plutôt le rôle de facilitateur, de médiateur en conduisant l’apprenant dans une situation de questionnement, d’interrogation, de réflexion, de recherche active afin qu’il expérimente, élabore, construise son propre savoir de sa propre main. Gérard Sensevy explique que le formateur est gagnant lorsque l’apprenant gagne son savoir, le construit au sein d’un jeu d’apprentissage.
Se préoccuper du savoir, c’est s’intéresser à des concepts, à sa construction, à son statut parmi les divers acquis humains. C’est s’intéresser à des solutions, à des réponses aux questions que l’Humanité s’est posées au fil du temps. Le savoir est toujours une réponse à une question posée.
On ne retient que les savoirs scientifiques produits par une élite savante et restreinte au détriment de ce qu’on appelle maintenant les savoirs d’action, des savoirs professionnels tout à fait pertinents en situation. Certains de ces savoirs d’action accéderont à une reconnaissance sociale, à une reconnaissance universitaire ou d’ingénieur. Parfois, des savoirs empiriques socialement efficaces attendent longtemps avant une reconnaissance académique justifiée.
Le rôle du formateur et d’organiser la rencontre de ces savoirs savants pour le plus grand nombre. Le rôle du formateur est aussi de montrer qu’entre l’acteur producteur de savoirs d’action et le savant producteur de savoir scientifique, il n’y a pas une différence de nature, mais des différences qui sont essentiellement liées à histoire de chacun. La formation ne peut faire l’économie d’une réflexion épistémologique sur la nature de ce savoir et la façon dont il s’est constitué. Cela donne du sens à la formation et permet parfois de placer l’apprenant en situation de reconstruction du savoir à la manière du savant qui l’a découvert.
La Démarche d’autosocioconstruction du savoir se définit comme « une suite cohérente de situations problèmes articulées les unes aux autres et liée à un noeud conceptuel identique, dont la résolution en petits groupes favorisant une confrontation entre un sujet (c’est l’auto) et ses pairs (c’est le socio) et mobilisant différents moyens d’expression (c’est le faire) en vue de la communication en grand groupe enclenchera une appropriation par chaque participant du noeud conceptuel visé (c’est la construction). » Michel Hubert
La démarche d’auto socio construction du savoir ne fait pas l’impasse sur la genèse des savoirs ni sur les étapes de reconstruction du savoir par l’apprenant. Elle favorise l’émancipation du sujet apprenant au moyen de la construction d’attitudes mentales et de pouvoirs mentaux nouveaux dans une recherche personnelle. La prise en compte du social dans une confrontation et coopération en petit groupe et en grand groupe est un levier pour apprendre au moyen du développement de conflits sociocognitifs bien encadrés. Ce qui suppose également l’implication du formateur lui-même. La dimension du « faire » avec des productions concrètes demandées aux apprenants est un moyen de mettre en crise et déséquilibrer les représentations mentales afin de construire de nouvelles ressources, de nouvelles représentations. L’analyse des productions souligne des indices de transformation des représentations et des identités, ainsi que leurs processus. Le travail de formulation et reformulation est important. L’évaluation se situe dans les réinvestissements futurs.
Dynamiser une formation n’est pas seulement enchaîner des séances et juxtaposer un certain nombre d’outils de formation. C’est avant tout bousculer les esprits. Afin de favoriser une mise en mouvement des esprits, il convient de faire émerger les représentations initiales en début de formation. Plusieurs modalités ludiques ou indirectes sont possibles. Le laboratoire de fission ou de fusion des représentations et le conflit sociocognitif porte, nous dit Michel Hubert, jusqu’à l’incandescence les arguments de chacun. Certains conflits naîtront d’eux-mêmes et le formateur n’aura qu’à actionner le soufflet. D’autres devront être portés par le formateur lui-même, habile à repérer des divergences. Le même auteur nous dit que les provocations, les prises à partie permettent d’activer des braises qui dormaient sous la cendre. L’objectif est bien de conduire les apprenants à se dépasser, à restructurer leurs connaissances à un niveau supérieur. C’est ainsi parier sur le potentiel de l’apprenant.
Alors, des pauses pour souffler sont nécessaires. À l’abri du regard du formateur, les stagiaires échangent entre eux et poursuivent leur construction d’une pensée autonome.
Déstabiliser les apprenants suppose un cadre rassurant, des repères temporels respectés, des attentes positives de chacun, un climat affectif serein et convivial… Tout cela participe à la stabilité d’un socle permettant des prises de risques pour apprendre (Michel Huber).
Source : Former des formateurs de Michel Huber. Editions Chronique Sociale